Les chevaux arborent une vaste palette de couleurs de robes, depuis le noir jusqu’au blanc, en passant par toutes les teintes de “marron”, et des mélanges entres elles. Le terme “marron” n’existe pas dans la nomenclature française des robes du cheval, mais c’est là un autre sujet.
Lorsqu’un cheval présente des “taches” blanches plus ou moins étendues, on parle de robe “pie”, comme chez l’oiseau noir et blanc homonyme. Ces robes “pie” sont notoirement rares chez des chevaux de sport, ceux croisés sur les champs de course et autres terrains de concours. Quand, par hasard, un cheval pie s’ébat sur l’un de ces terrains, grande est la tentation de remonter sa généalogie pour trouver de qui il a bien pu hériter sa robe bariolée. Les gènes de robe pie sont dominants ; autrement dit, si l’un des deux parents en porte un et le transmet, il s’exprimera forcément chez la progéniture.
Cette quête de l’origine du pie chez le Trotteur français débute par la rencontre avec Blackstorm Basloir, sur l’hippodrome de Josselin en 2018.

Blackstorm Basloir arbore un phénotype (une couleur visible) dit “pie minimal”, avec une faible étendue de blanc au regard du qualificatif “pie”. En l’absence de test génétique, impossible de savoir quel génotype se cache derrière ce phénotype bien particulier : SW ; DW ; sabino ? La théorie la plus probable serait celle d’une déclinaison d’un variant dit “Dominant White” (DW), une version de SW (“Splashed White”) étant elle aussi possible, bien que moins probable (le SW donne en général un ou deux yeux bleus, or les deux yeux de Blackstorm Basloir sont marrons). Le sabino SB-1 est très improbable, car ce gène n’est pas documenté chez les chevaux français, et plus largement d’Europe (il est présent sur les continents africain et américain, chez des chevaux d’origine Barbe et sans origines Pur-sang ni Arabe).

Les différentes versions du DW sont connues pour pouvoir rester phénotypiquement “cachées” sur plusieurs générations (autrement dit, le gène est bien transmis et il s’exprime, mais cette expression reste peu visible). Le blanc est étendu, mais pas au point que les identificateurs puissent parler d’une “robe pie” ; ils parleront d’un cheval bai, noir ou alezan, portant des balzanes (du blanc au bas des jambes) et une liste (une ligne blanche s’étendant du front aux naseaux). De temps en temps, un poulain naîtra, comme Blackstorm Basloir, avec des taches blanches très étendues sur ses membres et sa tête, et parfois sous son ventre, trahissant son héritage génétique.
Que nous réserve la généalogie de Blackstorm Basloir ?
Comme nombre de Trotteurs français, il descend de Kerjacques, et donc de l’étalon fondateur Phaéton (ou Phaëton, selon les différentes graphies de la fin du XIXe siècle). Kerjacques fut bien loti en matière de marques blanches, avec trois balzanes et une large liste. Cependant, il ne peut être qualifié de “pie”.
Phaéton (choisissons la graphie mythologique !) est un étalon fascinant, aux trois-quarts Pur-sang, 1,61 m et fortement marqué de blanc. Si vous souhaitez en savoir plus à son sujet, je lui ai écrit un article sourcé dans Wikipédia.
D’après l’article anonyme intitulé « Phaéton et sa descendance », publié dans la revue Le Sport universel illustré du 23 mars 1901, Phaéton transmettait beaucoup de blanc à ses poulains, y compris ces fameuses poils immaculés sous le ventre, que vous pouvez voir sous la sangle de Blackstorm Basloir plus haut. Il est par conséquent hautement probable que les Trotteurs français “pie minimal” aient hérité leur gène de ce glorieux ancêtre !
D’où Phaéton l’a t’il lui même hérité ? D’après sa généalogie, il n’existe que deux possibilités : côté Pur-sang, ou bien de son quart d’ancêtres trotteurs du Norfolk. Certes, il existe des Pur-sang de robe pie, mais c’est rare. Quand aux trotteurs du Norfolk… chez eux, le pie est beaucoup plus fréquent. Et les descendants de cette race sont là pour le prouver !
Au moins deux races de chevaux actuelles descendent du trotteur du Norfolk : le Hackney et le Breton de type postier (ex Norfolk-Breton). Chez ce dernier, la présence du gène SW-1 a été confirmée grâce aux tests génétiques de la jument Reine de Since, mère d’un poulain “pie”, le hongre Dolmen an Amzer Vrao.
Chez le fiston Dolmen, l’expression du gène pie est encore plus évidente… avec un œil bleu en prime ! Dolmen étant hongre, il ne transmettra rien.
Je passe sur les nombreuses photographies de Hackney au blanc étendu : vous pouvez en trouver une collection ici.
Ce faisceau d’indices tend à démontrer que les chevaux trotteurs du Norfolk ont transmis leurs gènes de pie au Trotteur français. Ces chevaux, très réputés en Angleterre au milieu du XIXe, étaient ce que l’on appelle des “chevaux de voiture” ou des carrossiers, sélectionnés sur leur aptitude à tracter au trot avec élégance.
DW ou SW-1 ? Seuls des tests génétiques, comparant la génotype des descendants de carrossiers du Norfolk, permettraient de vérifier cette théorie.